Aix-en-Provence : analyse électorale des municipales partielles
Analyse réalisée par Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département Opinion de l’IFOP, et Guillaume Peltier, directeur associé de COM1+.
A
la suite de l’élection municipale partielle d’Aix-en-Provence, plusieurs enseignements du scrutin peuvent être tirés.
1- Au premier tour, la liste UMP menée par Maryse Joissains a mieux rassemblé que ses concurrentes :
- Maryse Joissains fait le plein des voix à droite. Le total des listes UMP, FN, MPF, DLR lors de l’élection européenne de juin 2009 s’élevait à 43,24%. La liste Joissains en juillet 2009 totalise 43,3% au premier tour.
Au-delà de cette très grande similitude des scores, le taux de corrélation s’établit à 0,8 entre le « total droite » des élections européennes et le vote premier tour Joissains, d’après un calcul sur les 86 bureaux de vote de la ville. Ceci tend à démontrer sa très forte capacité à rassembler, comme la concordance géographique des bureaux ci-dessous l’illustre (graphique 1).
Graphique 1
- La liste PS/Modem dirigée par Alexandre Medvedowsky réalise une réelle performance au premier tour en améliorant nettement le score réalisé par les deux partis aux élections européennes de juin : 34,1% aux élections municipales contre 23,22% au scrutin précédent. Cette progression est largement due au « retour au bercail socialiste» d’électeurs de gauche ayant voté pour les écologistes aux européennes et au captage, moins attendu, par la liste PS/Modem d’une bonne par de l’électorat de la gauche radicale (qui perd plus de 6 points entre les européennes et les municipales : 4,2% contre 10,5%), et ce malgré l’union de toutes les forces de la gauche radicale au premier tour (NPA/PG/PC). L’analyse par bureau de vote (graphiques 2 et 3) montre que plus le score de l’ultra-gauche était important aux européennes, plus la progression de la liste Medvedowsky a été importante. Un réflexe légitimiste (ou de vote utile) des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ?
Graphique 2
Graphique 3
- Toutefois, la présence des deux listes concurrentes de gauche NPA/PG/PC et écologistes empêche Alexandre Medvedowsky de rivaliser avec Maryse Joissains au premier tour. La candidate UMP mène de près de 10 points : c’est sans doute ce jour-là qu’elle a remporté l’élection.
- Concernant, enfin, la liste dissidente DVD, aucune corrélation n’est établie entre le vote Salord et le vote Modem des européennes, le vote Salord et le vote FN, le vote Salord et le vote UMP. Ce qui signifie que l’électorat divers droite de Salord s’est constitué d’abord sur des considérations locales plus qu’il ne s’est structuré sur un positionnement idéologique.
2- Au second tour, un paradoxe électoral prive la liste PS/Modem de la victoire : elle rassemble mieux que l’UMP mais mobilise moins les abstentionnistes que la droite.
- Manifestement, la liste Medvedowsky a bien rassemblé son camp : la grande majorité des électeurs NPA/PG/PC, une partie importante de l’électorat écologiste et une minorité de la liste Salord (qui avait appelé à faire barrage à Maryse Joissains) se reportent sur la liste PS/Modem. Mais cette addition lui permet simplement d’approcher la barre des 50%.
En effet, au second tour, la liste Medvedowsky pouvait compter normalement sur un très large soutien allant des électeurs du divers droite à ceux de l’extrême-gauche, même si ses leaders n’avaient donné aucune consigne de vote. Si l’on additionne le score de ces 4 listes au premier tour, on obtenait alors un potentiel théorique de 56,7%. Or, au soir du second tour, la liste « anti-Joissains » ne rassemblait « que » 49,8%. Soit une déperdition de 7 points par rapport à ce potentiel théorique.
Le tableau suivant vise à comprendre d’où sont provenues ces fuites. Est-ce de la part des électeurs divers droite ou des électeurs d’extrême-gauche et/ou de la liste Medvedowsky au premier tour ? Pour ce faire, nous avons trié les bureaux de vote en fonction du niveau de perte de Medvedowsky par rapport au potentiel théorique que constituait l’ensemble des listes anti-Joissains (tableaux 4 et 5).
Différentiel |
Leconte |
Medvedowsky |
Gerrera |
Salord |
-2,5 à – 5 % |
5,4% |
39,7% |
11,5% |
6,1% |
– 5 à -7 % |
4,2% |
34,1% |
10,7% |
7% |
– 7 à -9 % |
4% |
33,5% |
11,2% |
7,2% |
– 9 à -12,6 % |
3,5% |
29,7% |
12,9% |
8% |
Tableau 4
Différentiel |
Leconte 1er tour |
Gerrera (Ecologiste) |
Salord 1er tour |
|
Total Aix-en-Provence |
-6,92% |
4,20% |
11,30% |
7,10% |
Bureau de vote 19-ECOLE PAUL ARENE |
-4,12% |
4,95% |
6,13% |
4,48% |
Bureau de vote 7-ECOLE SALLIER |
-9,27% |
2,52% |
14,10% |
8,63% |
Tableau 5
- Concernant Maryse Joissains, sa victoire, de justesse, semble s’appuyer sur un double ressort :
– même si elle ne fait pas le plein, elle bénéficie d’un assez bon report des électeurs du DVD Salord, qui avait pourtant appelé à lui faire barrage :
- Ainsi, le score de Joissains au second tour correspond à celui de Salord (7,1%) + Joissains (43,31%) au premier tour. Néanmoins, comme le montre le graphique 6 (où nous avons classé les bureaux de vote en fonction du score du DVD Salord), la progression de Maryse Joissains entre les deux tours n’est pas strictement linéaire et surtout le différentiel de gain de Joissains n’est que de 2,6 points entre les bureaux les moins favorables à Salord et ceux où il faisait ses meilleurs résultats au premier tour.
Graphique 6
– sa dynamique s’explique, enfin, par une intense campagne de terrain qui a mobilisé les abstentionnistes, notamment dans les quartiers acquis à la droite.
Graphique 7
Même si tous les nouveaux votants n’ont pas soutenu la liste UMP, tout se passe comme si « les fiefs » de Joissains avaient connu une intense mobilisation entre les deux tours, les militants de la majorité municipale cherchant à convaincre leurs soutiens potentiels quand l’opposition essayait d’y réduire son retard (tableau 8).
Score Joissains |
Score Joissains |
Evolution Joissains |
Evolution des exprimés |
moins de 35 % |
37,00% |
+ 5,7 % |
+ 4,2 % |
de 35 à 43 % |
45,70% |
+ 6,6 % |
+ 4,6 % |
de 43 à 47 % |
53,10% |
+ 7,6 % |
+ 5,2 % |
de 47 à 51 % |
56,30% |
+ 7,7 % |
+ 5 % |
plus de 51 % |
59,60% |
+ 6,6 % |
+ 5,7 % |
Tableau 8
Conclusion :
Ainsi, tout en prenant soin de rappeler que la victoire de Maryse Joissains fut courte (187 voix d’écart !), que la candidate UMP était la maire sortante et qu’il s’agissait d’une municipale partielle, il est intéressant de noter :
– le rôle déterminant de l’ordre d’arrivée au premier tour et la dynamique que la première place peut créer. C’est toute l’importance du rassemblement.
– les consignes de vote sont toujours diversement appréciées et nul n’est propriétaire de ses voix. Ainsi, les électeurs de la gauche radicale ont largement choisi de se reporter sur la liste PS/Modem et ceux du DVD ont majoritairement rejoint la liste UMP, malgré les appels, plus ou moins contraires, de leurs leaders. Et l’hétérogénéité de l’électorat écologiste rend cette réalité électorale encore plus criante.
– les quelques dizaines de voix qui séparent la liste PS/Modem et la liste UMP au second tour sont, sans doute, issues d’une plus forte mobilisation des abstentionnistes pour la droite que pour la gauche (+ 4 385 suffrages exprimés entre les deux tours).
Il serait, bien sûr, hâtif de tirer des conclusions de ce scrutin pour les transposer aux élections régionales de mars 2010, d’autant que le FN était absent du scrutin aixois.
Toutefois, à l’heure de la bipolarisation, la capacité de rassemblement dès le premier tour et la mobilisation des territoires « acquis » au second tour semblent être l’une des clés des victoires électorales.
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